Le XIIe siècle liquide l’héritage antique

Le XIIe siècle liquide l'héritage antique

Cette lente période de gestation entamée avec l'effacement de l'Empire romain débouche sur un nouvel essor quand point le XIIe siècle. Le territoire commence à se restructurer à une échelle plus large et les villes, restées figées pendant plusieurs siècles, se trouvent à l'étroit dans leurs murs. Moins soumises aux lois de la nécessité, elles aspirent à inventer des formes nouvelles. On se remet à construire. " Ce redémarrage économique et démographique conduit à réinvestir la ville délaissée à la fin de l'Antiquité pour répondre aux nouveaux besoins en logements, en ateliers, en marchés. On ne se contente plus des modestes églises, petites et peu pratiques, on veut ériger des édifices solides et grandioses ", résume Jean-Marc Mignon. On entre alors dans une phase active de liquidation de l'héritage antique. Car la modernité est destructrice, c'est la deuxième loi qui prévaut en matière de patrimoine. Là où elle passe, l'ancien disparaît. Et à l'inverse, là où le patrimoine demeure, c'est en général qu'un moindre développement a entraîné un moindre remplacement.

Au XIIe siècle, quelques bâtiments antiques sont encore debout mais ils ne répondent plus aux envies du moment, on achève alors de les détruire en s'en servant comme carrière ou en les remplaçant par de nouveaux. Le théâtre de Vaison-la-Romaine, abandonné, va être exploité jusqu'à la dernière pierre et ce n'est que grâce à l'empreinte nue qui avait été taillée dans le rocher pour l'accueillir qu'on a pu en déduire son emplacement et sa forme exacte avant de le reconstruire au début du XXe siècle. Il en ira de même de l'amphithéâtre d'Orange, donné aux Templiers au XIIe siècle à l'état de ruine et dont le lent processus de destruction se prolongera jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. De même, il faudra plus de 800 ans pour épuiser le gisement du théâtre d'Apt dont on peut encore voir des parties sur des clichés de la ville pris au début du XXe siècle. " Détruire un bâtiment de30 m de haut constitué de blocs de 800 kg peut s'avérer assez décourageant ", fait remarquer avec malice Jean-Marc Mignon.

Les anciennes villes romaines de Vaucluse vont alors connaître des sorts très divers. À Apt, on a enjambé les nobles ruines antiques pour élever une ville moins à la merci des colères du Calavon contre lesquelles les hommes continuent de se protéger. La ville moderne a complètement digéré la ville antique dont il ne reste aujourd'hui presque plus aucune trace en surface. On les retrouve cependant dès que l'on sonde les dessous du centre ancien : il y a une quinzaine d'années, en creusant pour créer l'extension des locaux du Parc Naturel Régional du Luberon, on a découvert des caves médiévales et des murs antiques remontant à Apta Julia, entièrement imbriqués. À l'opposé de ce scénario, la ville de Vaison-la-Romaine va traverser l'Ouvèze à la faveur d'un affrontement entre le seigneur, le Comte de Toulouse, et l'évêque qui entraine la désertion de la ville basse, ou ville épiscopale, au profit de la ville haute, ou ville seigneuriale. Le conflit tourne en effet en défaveur du représentant de l'Église, installé côté plaine, à l'emplacement de l'ancienne Vasio Vocontiorum gallo-romaine. Le seigneur fera raser cette partie de la ville qui finira par disparaître sous le niveau du sol tandis que Vaison-la-Romaine se développera sur la partie haute, où une nouvelle cathédrale sera construite. Ce déplacement explique pourquoi Vaison-la-Romaine a été l'une des premières villes antiques dont les vestiges ont été mis au jour dès le début du XXe siècle : il n'y a eu qu'à fouiller là où ne se déployaient que des terres agricoles pour les mettre au jour.

À l'inverse, tous les efforts pour exhumer le passé antique d'Avignon se heurtent au grand héritage du siècle pontifical. En quelques décennies, la nouvelle capitale du monde chrétien connaît une formidable explosion urbaine. L'argent afflue. Derrière les souverains pontifes obsédés par l'idée d'asseoir leur pouvoir par des constructions grandioses, suivent les cardinaux, leurs cours et des hordes de maçons, d'artisans et d'artistes venus d'Italie. La ville se couvre de palais, de jardins et de somptueuses demeures. Des restes des édifices antiques sont pris dans les constructions actuelles, certains vont survivre tardivement au pied du Palais des papes, sur la place de la Principale, du côté de la Mirande où un œil avisé peut remarquer d'anciennes constructions romaines. Entre les rues Racine et Petite Fusterie (dans les locaux de la mairie annexe), on a découvert une partie du forum, la curie. Mais la modernité donne un nouveau coup de boutoir dans la seconde moitié du XXe siècle. Menés sans fouille archéologique préventive (la procédure n'existait pas alors), la réhabilitation du quartier de la Balance et le creusement du parking souterrain du Palais des papes aboutissent à la destruction de tous les niveaux archéologiques. On ne saura jamais quels vestiges étaient ensevelis là ni ce qu'ils auraient pu nous apprendre sur l'histoire d'Avenio qui reste avant tout, aux yeux du monde, une ville du Moyen Âge, la Cité des papes.

Visuel haut de page : Vestiges du théâtre de Vaison-la-Romaine sur le versant nord dela colline de Puymin avant la reconstruction (début XXe siècle). - © Joseph Sautel