Sorgues : quelques bribes encore debout

Sorgues : quelques bribes encore debout

En 2013 et 2014, deux campagnes de diagnostic préventif ont permis de retrouver les traces du premier Palais des papes, celui de Sorgues, réalisé à partir de 1318 par Jean XXII, qui y investira pas moins de 40 000 livres sans compter l’achat des terrains et maisons qui doivent céder la place. Ce spectaculaire quadrilatère de 75 m de côté creusé de douves était flanqué de tours de 25 m de haut dressées à chaque coin. Il avait été érigé juste au débouché du pont qui arrive du nord et enjambe l’Ouvèze, à côté de l’atelier de frappe monétaire des papes. Il a presque intégralement disparu mais la mémoire en reste inscrite dans les noms des voies de ce quartier près de l’avenue d’Orange : rue du château, rue de la tour, impasse des jardins du château… Et pourtant, qui, à Sorgues, sait encore que ces murets qui entourent des jardins sont des restes des anciennes fortifications, que de nombreuses maisons du quartier s’appuient sur des pans de murs de l’ancien palais ou que l’on peut encore deviner ici ou là, à l’angle d’une rue, un fragment de mâchicoulis ou le bout d’un arc de l’ancienne porte du pont-levis ? « C’était un palais austère et impressionnant de l’extérieur qui intimidait les habitants et les visiteurs. À l’intérieur, il était très richement décoré, avec une profusion de matériaux nobles, de carreaux peints et de murs réalisés par des maîtres italiens. On sait que cinq mois et demi avaient été nécessaires pour réaliser les seuls décors des appartements du pape », narre Guilhem Baro, archéologue du Département qui a dirigé les recherches sur ce site oublié.

On y pénètre par l’ouest, côté pont, par une double enceinte équipée de herses et d’un pont-levis. Les escaliers larges et aérés desservent les trois ou quatre étages qui entourent une cour carrée. Une salle d’apparat occupe l’aile nord et le pape s’installe côté est, dans des appartements qui donnent sur 3,5 hectares de jardins. Cet espace luxuriant est certainement la pièce maîtresse du palais, une démonstration de richesse et de pouvoir, conçue aussi bien pour garantir l’approvisionnement du palais que pour l’agrément de ses hôtes. Il est parcouru de canaux d’irrigation qu’enjambent des ponts, il y a des vignes, des arbres fruitiers et un potager qui pourvoient les cuisines en condiments, céréales et fruits exotiques. Clou du spectacle, un immense vivier couronne l’ensemble, apportant calme et sérénité. On a débauché des dizaines d’hommes et de femmes des environs pour en creuser la fosse et fait construire un aqueduc de 2,5 km afin de l’alimenter avec l’eau de l’Ouvèze. Le jardin accueille aussi une ménagerie où l’on garde les animaux offerts en présent au pape, des grands fauves, des perroquets et autres oiseaux exotiques… Au fond des jardins, le long du mur d’enceinte sud, côté ville, est aménagée la salle des audiences, une nouveauté, qui servait à recevoir le public pour les proclamations officielles ou le traitement des affaires judiciaires du Comtat. Il en reste quelques rares pans de murs encore debout dans lesquels un œil avisé distingue les anciennes ouvertures aujourd’hui comblées.

Aussi somptueux qu’il fut, après Jean XXII, le palais de Sorgues redeviendra rapidement une résidence parmi d’autres, plus ou moins fréquentée selon les goûts des papes successifs qui l’entretiendront malgré tout jusqu’à leur départ pour Rome.