Archéologie

Le silex du Toulourenc : trésor du Néolithique en Vaucluse

Au quatrième millénaire avant notre ère, durant le Néolithique, la vallée du Toulourenc fut le centre névralgique d’une activité majeure : celle de l’exploitation d’un silex quasiment unique en Europe.

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Il y a 6 000 ans, la vallée du Toulourenc abritait dans ses combes une roche qui a attiré les populations préhistoriques. Formées durant la période du Crétacé inférieur, les imposantes masses de calcaire propres à cette zone de Haute-Provence avaient, en effet, la particularité de fournir une formidable abondance d’un silex d’une qualité que l’on ne trouvait pas ailleurs.

 

 

Vue des parois de calcaire riches en silex au creux de la combe de Bouche Grasse

 

 

« Durant cette période de l’histoire, on voit s’organiser une énorme activité autour des Monts de Vaucluse et du Ventoux », explique Didier Binder, Directeur de recherche émérite au CNRS à Nice. « Cette surexploitation s’explique par la qualité de ce silex, l’une des variétés les plus translucides qui soit, que l’on appelle blonde ou caramel, et que l’on ne trouve que très rarement en Europe ».

Extrêmement bien cristallisée, cette roche, dite siliceuse, avait l’avantage de se prêter parfaitement au débitage. Les populations qui s’activaient ainsi dans les combes de la vallée, telle que celles de Bouche Grasse, avaient développé un savoir-faire qu’elles étaient seules à détenir. « Ils employaient des techniques de détachement par percussion indirecte, en employant des pièces intermédiaires telles que le bois de cervidé. Cette matière leur permettait de maîtriser la force et d’orienter parfaitement les points d’impact, et de donner à un bloc naturel une géométrie très régulière », souligne Didier Binder. 

Bloc de silex chauffés à partir duquel sont débitées les lamelles

 

 

Un traitement thermique du silex

Les archéologues qui ont travaillé sur ces sites néolithiques du Vaucluse ont fait une découverte tout à fait originale : les blocs de silex étaient traités par la chaleur. « Il s’agissait d’une chauffe contrôlée, à basse température, aux alentours de 250 degrés », ajoute Didier Binder. « Ce traitement permettait ainsi d’améliorer la qualité de taille du silex. Un changement dans le réseau cristallin du silex s’opère, et permet d’avoir des textures qui se rapprochent du verre, et facilite ainsi le débitage ».

Exemple d’une lamelle taillée dans le silex provenant de la vallée du Toulourenc

 

 

Extraction, standardisation, exportation

Si les hommes du Néolithique s’appliquaient à mettre en forme des blocs de silex aussi bien cadrés, c’est parce que c’était le meilleur moyen d’en extraire un maximum de lamelles, similaires à des lames de rasoir, standardisées au millimètre près, le tout avec un minimum de matière première. Elles serviraient plus tard à la confection de divers outils de coupe après avoir été emmanchées, des outils indispensables à de nombreuses communautés pour les activités agricoles et la chasse.

 « Les populations étaient dépendantes des réseaux de diffusion des ateliers situés en Vaucluse et notamment dans la vallée du Toulourenc », note Vanessa Léa, archéologue et chargée de recherche au CNRS, ayant mené, il y a quelques années, d’importantes fouilles sur le site de Saint-Martin, à Malaucène, où se trouvaient des ateliers de taille de ces blocs en marge des sites d’extraction des combes. Elle parle ainsi d’une chaîne de production à part entière, et d’un véritable monopole dans cette zone. « Ces Vauclusiens du Néolithique étaient en amont d’un réseau de diffusion de plusieurs centaines de kilomètres. Ils étaient littéralement les rois du pétrole ».

Une telle capacité d’exportation est tout à fait comparable, comme le souligne la spécialiste, à un réseau de fabrication et de diffusion du XXIème siècle, tel que celui d’Airbus. Ayant ainsi inondé le milieu de la France, les lamelles provenant de cette région du Vaucluse étaient ainsi présentes dans toutes les boîtes à outils de ces communautés, qui n’étaient pas capables de les réaliser elles-mêmes : les consommateurs ne savaient pas chauffer et mettre en forme les blocs de silex ; ils taillaient les lamelles à partir de blocs déjà préformés et chauffés.

 « Ces préformes ont été retrouvées jusque dans les tombes en fosse de Catalogne », ajoute Didier Binder. « C’est réellement faramineux. On connaît aussi des exports vers l’Ecosse, vers la Bourgogne, vers la Suisse ou encore la Toscane ».

 

Infos Pratiques
Il est possible de se rendre au cœur de la Combe de Bouche-Grasse, à condition d’être équipé de solides chaussures de marche, et d’être en forme, car le chemin n’est ni marqué ni entretenu. Non loin du hameau de Veaux, qui surplombe la rivière du Toulourenc, le sentier qui mène aux vestiges se trouve dans le creux de la Combe. Il faut remonter celui-ci en empruntant prudemment quelques pierriers ou autres zone accidentées. Il est important de ne pas extraire du silex des parois rocheuses et de respecter les lieux.