Céramologie - voyage en terre inconnue

Plus précise que l’étude d’une pièce de monnaie en matière de datation, la céramique est un excellent révélateur des sociétés anciennes. Matière, forme, décor, style : la céramologie étudie de manière approfondie les objets en terre cuite découverts lors des opérations archéologiques, du Néolithique jusqu’au XXIe siècle, pour les faire parler.

« À quoi servait la vaisselle ? À faire bonne cuisine et bon repas (...) à être jetée aussi et donc à satisfaire les appétits des archéologues et historiens d’aujourd’hui », s’amusait le célèbre archéologue Paul-Albert Février. Briques, tuiles, carreaux, amphores, récipients, lampes à huile, sculptures… Utilisée pour la vaisselle, en récipient de stockage, en monnaie d’échange ou en urnes funéraires, la céramique, très fragile et donc fréquemment remplacée, fait partie des vestiges les plus sou - vent découverts lors des fouilles depuis la fin de la Pré - histoire. Abondante et souvent bien conservée, elle est donc le témoin de nombreuses activités humaines. À la différence d’une pièce de monnaie, qui pouvait être conservée sur plusieurs générations, la terre cuite se ré - vèle être une véritable aubaine pour les archéologues, qui voient en elle l’un des moyens d’investigation les plus performants pour dater des vestiges. Processus de fa - brication, matière première utilisée, cuisson mais aussi décoration, tout est analysé. Sans oublier la morpho - logie, le contexte de dépôt, mais aussi la fonction de la céramique… Tous ces éléments, qui ont évolué au fil du temps, sont de précieux indicateurs à partir desquels les céramologues bâtissent des typochronologies permet - tant d’établir une fourchette de datation par compa - raison et mise en série avec des sites particulièrement bien datés (grâce à une inscription, un fait historique, une datation dendrochronologique ou au carbone 14…). L’argile étant un minéral très abondant, le potier n’avait pas besoin d’aller très loin et puisait dans les ressources locales pour se procurer la matière première. Les céra - miques étaient souvent échangées ou commercialisées régionalement. Ainsi, un lot de tessons peut en général être rattaché à un atelier de fabrication local identifié grâce à l’argile utilisée ou encore à son style. Mais il arrive que la céramique découverte provienne d’autres contrées. À l’époque romaine par exemple, vin, huile, céréales et autres denrées étaient transportés d’un bout à l’autre de l’Empire dans des récipients en terre cuite. La céramologie permet de déterminer si les tessons découverts proviennent d’amphores à vin antiques, de poteries médiévales ou de vaisselle provenant du commerce entre Europe et Chine à la Renaissance.

 

 

Outre les caractéristiques physiques de la terre cuite, les céramologues vont aussi s’intéresser aux techniques de fabrication, à la morphologie et aux décors de la céramique. Des décors incisés ou un émail en disent long sur l’origine des objets. D’une époque à l’autre, d’un lieu à l’autre, les techniques et les types de revêtements diffèrent, et il n’y a parfois pas de décor du tout, ce qui en soi est aussi une information pour les scientifiques. Grâce à l’étude de la céramique, il est parfois possible de déterminer le statut social des habitants, la fonction d’un lieu, les pratiques culinaires d’une population, ou encore d’identifier des échanges commerciaux à plus ou moins grandes distances. Présente aussi dans les sépultures, la terre cuite renseigne également sur les pratiques funéraires. 

À chaque découverte, ces objets ont été répertoriés par des générations d’archéologues-céramologues. Un travail de classement et de catalogage au long cours qui a permis de reconstituer l’histoire des techniques et des styles utilisés depuis l’apparition de la poterie, ce qui permet de disposer de jalons chronologiques pour chaque civilisation et d’établir des typologies. Ainsi, il est possible d’identifier plus ou moins finement la chronologie et la provenance d’un lot de tessons. Mais malgré l’immense connaissance accumulée au fil du siècle écoulé, la céramologie reste parfois un voyage en terre (cuite) inconnue : de nombreux tessons découverts quotidiennement restent encore non identifiés, certaines périodes ou aires géographiques étant encore peu étudiées.

 

 

Les gobelets d’Orange gardent leur mystère

La fouille du site de la RHI Saint-Florent à Orange a permis la mise au jour d’un lot de gobelets ornés en sigillé (terre cuite rouge) italique. Ces gobelets offrent la particularité de porter dans le décor et en caractère grec la signature NIKO∑TPTOY. Il s’agit d’une production inédite datable du début de l’époque augustéenne (fin Ier s. av. J.-C.) et dont les origines vraisemblablement italiques demeurent mal connues : leur forme et leur décor évoquent deux productions d’Italie du nord, tandis que la signature du potier NIKO∑TPTOY, attestée à Pouzzoles, les rapprochent en revanche de productions d’Italie du sud.

Visuel haut de page : Pichet en céramique dite « verte et brune » du XIVe siècle, découvert rue
Carreterie à Avignon (1990). - © J.-E. Ely