La protection ambiguë des papes

Prendre la mesure du caractère exceptionnel du patrimoine juif conservé en Vaucluse oblige à un détour par l'histoire. Son point de départ peut se situer au XII e siècle, où un acte de l'Empereur Frédéric Ier Barberousse atteste pour la première fois de la présence juive en Avignon et dans le Comtat Venaissin. Ce dernier est alors un Etat pontifical reconnu par le roi de France en 1274. Il recouvre l'actuel Vaucluse - exceptés Avignon, une partie du Luberon et la principauté d'Orange - auquel s'ajoutent neuf communes de la Drôme. À Avignon, siège pontifical depuis 1305, la ville achetée par le pape Clément VI en 1348 dénombre près d'un millier de personnes juives, soit autant que dans tout le Comtat réuni. La protection ambiguë des papes Expulsés du XIII e au XV e siècles des royaumes d'Europe, bon nombre de juifs ont trouvé refuge en terres pontificales. Ils y bénéficient, certes, du droit d'exister et de pratiquer leur culte. Mais ils subissent aussi, comme partout en Europe, de fortes discriminations. Le concile de Latran de 1215 est venu limiter leurs libertés, en leur imposant par exemple l'isolement dans les villes, le port d'un insigne vestimentaire distinctif (la rouelle jaune), l'interdiction d'accès à certaines fonctions...

 

I-Bassin cultuel de la synagogue de Carpentras construit au XIXe siècle et alimenté par une pompe permettant d’avoir de l’eau chauffée.

II-Mikvé ou bain rituel de Carpentras.

 

 

Dès 1404, les personnes juives sont ainsi regroupées par le pape dans des quartiers fermés, dont elles ne sont autorisées à sortir qu'en journée. Cette " mise en jui - verie " forcée est réalisée successivement à l'encontre des communautés de Cavaillon (1453), d'Avignon (1458), de Carpentras (1461) et de Pernes-les-Fon - taines (1504). Deux siècles plus tard, les juifs du Com - tat et d'Avignon - que l'on appelle parfois " les juifs du pape " - sont définitivement contraints de vivre regrou - pés dans quatre " carrières " situées à Avignon, Car - pentras, Cavaillon et L'Isle-sur-la-Sorgue. Là, dans des quartiers qui leur sont exclusivement réservés et sont organisés autour d'une rue dont la largeur n'excède pas celle d'une charrette - carriero en provençal - les extrémités sont fermées la nuit par deux portails. La den - sité de population est telle que les immeubles s'élèvent et les propriétés s'enchevêtrent, sans qu'aucune fenêtre donnant sur le quartier chrétien ne soit autorisée. Et la vie s'organise autour de quelques équipements structurants, qui constituent encore aujourd'hui les principales traces patrimoniales de leur histoire sur ce territoire : la synagogue, les bains rituels et le cimetière.